Le jugement dernier
feat. Karma
Bordel. BORDEL.
De la vaisselle se fracasse contre le mur.
Putain. PUTAIN DE MERDE.
Des larmes de colère roulent sur mes joues.
J'ai reçu du courrier ce matin, une cliente déposant plainte contre moi pour usage de magie noire. Insatisfaite de mes services, elle a daigné lancer des rumeurs comme quoi j'emploierai ma magie pour blesser autrui. Hors, ceci est complètement erroné : c'est elle qui a frappé son conjoint, pas moi. Cette salope s'est permise de rejeter la faute sur moi pour éviter sa propre condamnation, c'est une honte. Le monde est à l'envers, complètement, puisqu'elle agit en toute impunité. Personne se fiche de son dossier tandis que moi, médecin de renom, on se permet de salir ma réputation. C'est insoutenable. Pour mieux le supporter, je porte à mes lèvres ma bouteille de rouge. Sérieusement, le procès est tellement gros que je me demande si ce n'est pas ma mère qui m'a une nouvelle fois jeté un mauvais sort.
Hors de question de laisser traîner l'affaire. Aujourd'hui, le juge est censé me rendre visite pour analyser de lui-même mes activités. Il arrive dans deux heures. Avant sa venue, je range les choses compromettantes telles que
❝ Hiro ? C'est Marina. J'ai tous les documents nécessaires avec moi pour me défendre. S'il te plaît, rappelle moi au plus vite, j'ai le juge qui passe chez moi pour évaluer ma cause. J'ai vraiment besoin de toi là. ❞ ma voix est toute tremblante, il ne m'a probablement jamais entendu parler ainsi, moi qui suis toujours confiante et vaniteuse.
Putain de lycan. Ça se la pète à faire des métiers qui rapportent mais ils ne sont jamais là quand on a besoin d'eux. Fais chier. Pour la première fois depuis longtemps, je pète un câble. Depuis quand n'ai-je donc pas pleuré ? Depuis la perte de ma fille ? Probablement. En tout cas, je ne fais pas les choses à moitié. Je chiale toutes les larmes de mon corps, couinant et hurlant mon désarroi face à cette terrible situation. Personne pour me protéger, personne pour me rassurer. Je suis seule. Il n'y a que sur moi sur qui je peux compter.
Après m'être défoulée un bon coup sur la pauvre porcelaine, je file à la salle de bain. Je camoufle mes yeux gonflés pour les peindre d'un noir profond. Je cache mes cernes derrière du fond de teint. Et je chasse toute cette tristesse par quelques exercices de respiration. Allez Marina : inspire profondément, expire intensément. Élimine ta rancœur, laisse le calme habiter ton être. Tout va s'arranger. Je n'ai absolument rien à me reprocher quant à mes pratiques et je vais porter plainte pour diffamation. Ne t'en fais pas Marina : cette folle t'offre un excellent moyen de gagner de l'argent. Reste confiante, prie pour que le jugement se déroule à merveille et tout ira bien. Oui, grâce à mon pouvoir, je sais que je vais gagner. Seulement, cette remise en question de mes passions me brise le cœur. Je travaille d'arrache-pied pour soigner cette bande d'ingrat d'habitant et voilà comment ils me remercient. Une chance que certains de mes patients expriment leur soutien à mon égard. Maintenant, je n'ai plus qu'à charmer le juge.
D'ailleurs, la sonnette retentit dans mon immense manoir. Vêtue d'une robe à la fois sobre et séduisante, je m'en vais ouvrir au juge tandis que je suis sur mon trente-et-un. Un large sourire voile ma mélancolie.
❝ Bonjour monsieur le juge, ravie de vous rencontrer, entrez. ❞
Mince, il me décontenance par sa beauté. C'est un homme, un grand brun ténébreux qui a à peu près la même tranche d'âge que moi. Mon point faible. Je déglutis bruyamment en essayant de rester impassible. J'invite le juge à pénétrer dans ma demeure. D'une voix mielleuse, je lui propose de me joindre à la terrasse pour prendre le café. J'en profite pour lui apporter tous les documents nécessaires pour prouver mon innocence.
❝ Vous êtes plutôt thé ou café ? Tenez, voici les documents nécessaires à l'affaire. J'ai rendez-vous avec mon avocat cette semaine, il vous fera part du reste très bientôt. ❞
Je l'installe à une chaise avec une vue imprenable sur la forêt. Je pose sur la table les photocopies qui lui sont destinés avant de repartir dans la cuisine avec sa commande. Pendant un bref instant, j'ai hésité à introduire une fiole d'amour dans sa tasse. Ainsi, il aurait pu – littéralement – boire mes paroles et j'aurai la certitude de me tirer de cette affaire rapidement. Seulement, si il le remarque, je risque gros, trop gros. Je vais devoir user de mes charmes naturels, seront-ils efficient pour le Maître de la Justice ? Je reviens vers ce dernier, la boule au ventre et un nœud dans la gorge. Je lui apporte sa boisson chaude après avoir bu discrètement un verre de vin rouge dans la cuisine. Ne supportant pas le silence pesant, je renchéris.
❝ Je vous ferrai visiter les lieux ensuite. Croyez moi, je suis totalement innocente. ❞
Je le laisse se documenter en le reluquant discrètement. Sans me rendre compte, je me pince les lèvres comme gourmande de sa personne. Clairement, ce n'est pas le moment, c'est l'alcool qui me fait tourner la tête. Je ne me laisserai pas éprise d'un homme qui est là pour juger d'une affaire embarrassante, ce n'est clairement pas le lieu ni le moment de fantasmer.